Interlude (10) Les aberrations administratives

Les meilleures choses ayant une fin, préparons-nous, moi le premier, à mettre un terme à la narration de Ma vie en monovision. Il ne reste que quelques chapitres. Allez ! Une petite pensée amblyope en attendant :

Je t’ai à l’œil

  J’adore cette expression, signifiant « Je te surveille » … sauf s’il s’agit d’une ‘dame’ qui fume dans la rue et dit ‘tu’ aux hommes car dans ce cas on pourrait croire qu’on ‘consomme’ sans payer !

Pour l’heure, après deux textes un peu lourds concernant la force mentale et physique d’un borgne, j’ai retrouvé matière à un Interlude pour une pause souriante, car la prochaine publication ‘A perte de vue’ sera aussi chargée de réflexions. Mais je rassure les âmes sensibles : l’histoire se terminera bien… en tout cas pour le moment !

Vous avez lu que je suis titulaire d’un diplôme d’employé d’administration (l’ENA du pauvre), donc j’avoue avoir été fonctionnaire de métier. Vous me pardonnerez, d’autant plus que je n’ai plus travaillé (vous avez dit travaillé ?) dans une administration depuis 1962, donc depuis 60 ans. Il y a alors prescription…

Je dédie cette réflexion à mes potes du blog Ernest, Jourdhu, Skyler et toutes celles et ceux qui se battent quotidiennement contre les stupidités et les aberrations d’un système administratif archaïque, sclérosé, pléthorique, parfois corrompu, souvent inutile et toujours prêt à ‘emmerder’ (oups, mes excuses Monsieur le Président !) les…  ‘administrés’ !

Voici l’une de ces aberrations, qui suscite une interrogation :

Doit-on autoriser les monoculaires à conduire ? Une question à laquelle ne peuvent répondre que ceux qui délivrent les permis, mais pourquoi ne pas demander leur avis aux borgnes ? Bon, je rêve !

J’avais un contrat de déneigement dans un lotissement de montagne, qui nécessitait un permis de conduire poids lourds pour manœuvrer la puissante fraiseuse que les responsables projetaient d’acheter. On me connaissait bien, on m’avait vu à l’oeuvre aux commandes de l’engin de déneigement Intrac 2000 de la photo, on m’offrait les frais du permis et une situation financièrement très confortable. Confortable ? Oui 60 euros de l’heure, il y a 45 ans, vous jugerez ! Un indice: Ce n’était pas en France!

Mais, sur avis négatif du médecin conseil du Service des automobiles, on m’a refusé le permis poids lourds, un document réservé aux « deuzyeutistes ! »  Constatation à peine goguenarde : ‘on’ m’a refusé un document exigé pour transporter 3520 kg de gravier (20 kg de plus que la limite du permis voitures qui est de 3500 kg !) alors que je peux conduire la plus puissante des Ferrari à pleine vitesse, un petit bus avec 17 personnes à bord et qu’on m’a donné les licences de pilote de montgolfière et de dirigeable à air chaud…

Mondo cane !

Une vie de borgne (Chapitre 23) Dernière montée d’adrénaline en dirigeable

Pour en finir avec les histoires de dirigeable, voici ‘ma’ dernière aventure aux manettes !

J’ai fait mon premier vol un 9 décembre, le jour de mon anniversaire. Tiens, vivement demain pour mes 20 ans… et plutôt 4 fois qu’une, avec plein de souvenirs aériens mais les pieds bien posés sur le sol !

­­­­­­­­J’ai fait de magnifiques ascensions sur Aarau, Winterthur, St-Gall et Zurich, même un survol à moins 300 mètres sol sur la Foire d’échantillons de Bâle, seul à bord, car notre prototype ne pouvait pas embarquer assez de gaz pour un vol de 2 heures à deux pilotes. Je devais voler à la limite légale (légale ? tu parles !) pour qu’on puisse lire notre promotion pour le Salon de l’Auto de Genève !

‘Il’ et moi avions fait l’extension de licence pour le dirigeable, mais ‘il’ avait trouvé le financement de près de 200’000 euros. Ne connaissant rien à ce genre d’aérostat, ‘il’ avait exigé une enveloppe lisse genre Zeppelin. Ce stupide caprice m’a valu quelques frayeurs, et notre prototype est resté en ‘homologation provisoire’. Nos vacations étaient prévues en Suisse allemande, donc un peu de Schwytzerdütsch était utile, en plus de l’allemand et de l’anglais. C’est pourquoi ‘il’ avait fait appel à un polyglotte, fût-il… borgne !

« Zurich Tower ! Airship Golf Bravo Whisky Lima Hôtel. Good morning. Expecting authorization for departure » « Lima Hôtel cleared for take off. Good flight ! »

Avec 10 millions de kilocalories/heure et des flammes de plus de 5 mètres il était récurrent, pendant la chauffe, de ‘cramer’ quelques mètres des sangles ajoutées pour donner à notre dirigeable cette pseudo forme de Zeppelin. A chaque fois, retour vers le bassin lémanique dans un atelier spécialisé pour réparer.

Les photos vous montrent l’ingéniosité de notre artisan avec sa machine à coudre industrielle introduite dans le dirigeable pour réparer les sangles brûlées…

Ci-dessus on voit bien le fouillis de sangles ajoutées !

‘Il’ avait décidé de faire un vol publicitaire au-dessus de l’aéroport international de Zurich Kloten. Rien que ça ! ‘Il’ avait réussi à ‘enfumer’ les responsables, obtenant toutes les autorisations, oui toutes ! ‘Il’ avait observé la situation depuis la tour de contrôle climatisée et insonorisée et clamait urbi et orbi que la manoeuvre était simplissime. ‘Il’ avait juste oublié d’impliquer celui qui piloterait, entre les Boeing et les Airbus en procédure d’atterrissage.

Je précise que les avions de ligne qu’on voit très près du dirigeable ne sont ni des modèles réduits… ni une retouche Photoshop !

Je décolle à moins de 200 mètres de la piste principale avec, comme co-pilote, un instructeur retraité, mis à notre disposition par le constructeur.  Un moteur, genre tondeuse à gazon extrêmement bruyant, fixé au-dessus de la nacelle pour la surpression de l’enveloppe, rend les échanges radio avec la tour de contrôle si aléatoires que j’ai dû réduire les gaz de ce moteur auxiliaire pour tenter d’entendre les consignes et c’est mon copilote qui a capté le « Ready for take off ». Je découvre enfin, depuis en haut, le ‘merdier’ dans lequel on m’a envoyé : J’ai, paraît-il, l’autorisation de prendre la piste principale dans le sens contraire des atterrissages, à 50 mètres sol. En face de moi, un long courrier en train de poser, mais je dois l’ignorer puisque, à moins de 300 mètres, il ‘devrait’ prendre une déviation. Sans communication avec la tour de contrôle à cause du vacarme à bord, j’ai assumé mes responsabilités, quittant la trajectoire ‘programmée’. Bonne décision car la réduction des gaz du moteur de surpression avait altéré le comportement de l’aéronef, devenu très dangereux. Bien pire, il piquait du nez par manque de surpression, une tare de conception à laquelle nous avions déjà étés confrontés lors des vols d’essai. (Parfois on comprend mieux les refus d’homologation…). Le brûleur orienté vers l’avant crachant toute la puissance de ses flammes, aura finalement raison du piqué, le nez du dirigeable effleurant le sol, mais j’ai posé l’engin. Mon co-pilote m’a félicité pour la justesse de mes décisions de ‘commandant de bord’ et la maîtrise du ‘piqué’… c’est le seul côté positif que je retiendrai de cette grotesque prestation. A peine au sol, le ‘responsable’ de cette ‘irresponsable’ manoeuvre me demande de reprendre l’air car le vidéaste publicitaire n’était pas content de ses prises de vue !

J’ai alors très calmement actionné la soupape pour vider un peu d’air de l’enveloppe et stabiliser l’appareil, j’ai demandé à mon vétéran de droite de veiller sur la machine, suis sorti et j’ai dit à l’irresponsable que le siège de pilote était à sa disposition, s’il voulait continuer le vaudeville. Un peu chiard, sans la pratique de l’anglais et de l’allemand, il a décliné ma proposition.

Ende der Luftschiff Geschichte !

Notre prototype, en quête d’une improbable homologation fut, paraît-il, bradé au Mexique et nous n’en avons plus jamais entendu parler.

Ce fut aussi ma dernière prestation en tant que pilote de dirigeable !

Il aurait fallu accepter qu’un dirigeable à air chaud soit ‘dodu’ et potelé, avec un ‘petit ventre’ comme le montre cette photo d’un engin de marque Cameron et de ne pas stupidement essayer de plagier la forme d’un Zeppelin à hydrogène ou à hélium…

Une vie de borgne (Chapitre 22) C’est quoi un dirigeable ?

Un peu d’histoire

Retour d’un vol d’essai au pied du Jura

Sachant que vous n’êtes pas nombreux à être montés à bord d’un tel aérostat, je vais vous en dire un peu plus sur ce « vaisseau des airs ».

S’agissant d’un OVPI, ‘Objet Volant Parfaitement Identifié’ mais assez peu connu, voici quelques détails : Un dirigeable est rarement fabriqué en série, et même avec deux yeux, piloter ce genre d’engin relève de l’aléatoire, de l’empirique et de la péripétie. Que dire alors des sensations d’un borgne aux commandes ?

Le Zeppelin LZ 129 Hindenburg

On vous dit dirigeable, vous ajoutez : ah oui le Zeppelin ! C’est normal que vous pensiez au LZ 129 Hindenburg, ce vaisseau des airs aux dimensions ahurissantes : 245 mètres de long pour un volume de 200’000 m3, rempli d’hydrogène, qui fut mis en service le 4 mars 1936. (A titre de comparaison le nôtre ne mesurait que 36.50 m. de long pour 12 m. de hauteur et 3000 m3 … une bricole!)

Fleuron de l’aérostation (et aussi de la propagande nazie), le Zeppelin emmenait jusqu’à 70 passagers autour du monde. Le LZ 129 a parcouru environ 337 000 km en 63 voyages.

Le plus long trajet a été effectué entre Francfort et Rio de Janeiro, soit 11 278 km en 111 h 41 min, à une vitesse moyenne de 101,8 km/h. Ses périples l’ont conduit à Bordeaux, Tanger, Marseille, Séville, Recife, Rio, Los Angeles, même Leningrad et Tokyo.

La belle aventure se termina à Lake Hurst le 6 mai 1937 dans les flammes provoquées par l’électricité statique au contact du câble métallique de l’aéronef avec le pylône d’amarrage. Avec l’extrême inflammabilité de l’hydrogène, il faut tout de même souligner qu’il n’y a eu ‘que’ 35 morts sur les 97 passagers et membres de l’équipage. C’était le 63ème et dernier vol commercial du Zeppelin.

Un détail sordide : le Hindenburg était à l’origine gonflé à l’hélium, gaz inerte non inflammable, mais depuis la montée du nazisme en Allemagne, les Américains, les seuls alors à livrer l’hélium, refusèrent d’approvisionner les sujets d’Adolf.

A Lakehurst nous avons vu le résultat

Le premier ‘vrai’ dirigeable décolla en 1884, soit cent ans après la première ascension d’une montgolfière en 1783. Le challenge qui hanta les ‘Geo Trouvetou’ de l’aérostation pendant un siècle, était de ‘propulser’ ces aéronefs, jusque-là livrés aux caprices du vent. On a tout essayé, mais les tentatives se soldaient généralement par un ballon jouant dangereusement à la toupie ! Il y eut des essais avec des voiles, des rames, de la poudre, des fusées, des hélices animées par des moteurs électriques, des pédales, de la traction depuis le sol avec des chevaux, des attelages d’aigles, des moteurs à vapeur avec cheminée… j’en passe et des pires ! Il s’agissait toujours d’aérostats à gaz.

Premier dirigeable « La France »

Ce sont Charles Renard et Arthur Krebs avec leur aéronef oblong nommé « La France » qui réussirent en 1884 le premier circuit fermé de 7.6 km officiellement homologué.

Au milieu du XXème siècle, la montgolfière revint à la mode grâce à l’invention des brûleurs à propane. Don Cameron, constructeur de ballon à air chaud, n’hésita pas à utiliser ce système de chauffe, aussi pour ses dirigeables. 

C’est un dirigeable de ce type, fabriqué en Angleterre par Per Lindstrand, que j’ai piloté… avec pas mal d’aventures.

Ready for take-off ?

Je reprends la plume dans quelques jours, dès notre retour du bord de mer, Alicante, Murcia… bref la Méditerranée !

A+