Ma vie en monovision (Chap. 42) Arrête ton cinéma (1) !

(Au fait, comment qualifie-t-on un texte précédent l’antépénultième ?)

Film Le Mans et péripéties aériennes 

Ceux qui pensaient à « Le Mans 66 », que je n’ai pas vu, ont ‘tout faux’ ! Il s’agit bien sûr du film « Le Mans » de 1971, avec Steve McQueen, à qui j’emprunte cette maxime :

“Racing is life. Anything before or after is just waiting”

Un sacré personnage, que j’ai côtoyé avec un grand bonheur.

Photo Norbert Duvoisin

Le réalisateur Lee H. Katzin venait de remplacer John Sturges qui avait abandonné le projet. Problèmes financiers, veto des assurance et surtout… d’égo !

On m’avait présenté D.B. Tubbs, l’attaché de presse du film, avant le début du tournage.

Le courant a passé et il m’a demandé de l’aider à « faire parler du film » en cours de réalisation, dans les revues spécialisées, mon domaine…

Ce sera le début d’une collaboration de plusieurs mois. Je me rendais au Mans une fois par semaine, souvent en avion privé de la production du film, un Cessna bimoteur de 8 places de Touraine Air Transport, qui venait me chercher à Orly ou à Genève, selon les opportunités laissées par ses vacations pour le film. Si je restais deux jours, McQueen me laissait une des Porsche mises à sa disposition par l’usine de Zuffenhausen. 

J’envoyais des reportages à Sport Auto, l’Auto-Journal en France, Motor Sport en Allemagne, Quattroruote en Italie, Car Magazine en Angleterre et Motor Trend aux States avec des anecdotes du tournage.

Dans le prochain chapitre je vous parlerai des effets spéciaux à l’ancienne… et à l’américaine qui, comparés aux moyens électro technico informatiques modernes, paraissent moyenâgeux, mais ça avait de la gueule et sentait bon le réel !

Pour l’heure, je vous raconte une expérience aéronautique un peu ‘limite’ vécue lors d’une de mes visites dans la Sarthe :

Nous décollons d’Orly avec des VIP américains, invités de la production du film. Il est passé 17 heures et les prévisions météo ne sont pas bonnes. A peine en l’air, un mur de nuages orageux se dresse devant nous. « On y va !» me dit le pilote, un ancien de la guerre de Corée. Je précise qu’il avait l’habitude de m’installer sur le siège de droite. Nous n’en avons jamais parlé mais je subodore que ma présence à l’avant devait dissuader les passagers de poser des questions sur la présence, ou non, d’un vrai co-pilote ! Revenons aux nuages : En plein dedans. L’avion tremble et nous sommes comme dans une essoreuse.

On essaie par en-dessus… on essaie par en-dessous ! Idem. La plaisanterie dure 40 minutes, avant que nous posions sous la pluie battante à Toussus-le-Noble… à 9 km d’Orly.

Chacun sait que l’avion est un moyen de déplacement rapide : 40 minutes pour 9 km, c’est pas mal non ?

La production était venue récupérer les VIP en limousine confortable, et les conditions s’améliorant, le pilote me dit qu’on va décoller, mais qu’il y a un ‘hic’ : Si nous dépassons le « crépuscule légal », pas le droit de poser au Mans, non équipé pour le vol aux instruments et nous devrons atterrir autre part.

Peu avant Tours, échange radio avec la direction régionale :

« Demande autorisation atterrissage Le Mans ! » « NEGATIF ! Le Mans non équipé IFR !» « Pas compris, répétez !»  Là je m’étonne car le message est clair ! « Le Mans NEGATIF !» Mon pilote prend une drôle de voix hachée, le coude sur la bouche et le micro très éloigné « … ompris… le mans affirmatif » Il ajoute quelques borborygmes inaudibles puis coupe la radio ! Il me fait un grand sourire augmenté d’un clin d’œil appuyé, change de canal et, en CB avec un pote du Mans, il ‘commande’ l’illumination de la piste. C’est ainsi que nous avons atterri en pleine nuit, discrètement sur une piste éclairée par les phares de 4 voitures convoquées anonymement. On n’oublie pas une aventure pareille !

Tiens, vous savez bien sûr qu’en aviation, on utilisait ‘négatif’ et ‘affirmatif’ dans les vacations radio ? Sauf que le contraire de Négatif est devenu Affirm  car la confusion entre affirmatif et négatif a coûté la vie à 583 personnes le 27 mars 1977 à Tenerife. Les anciens se souviennent de la collision frontale entre deux Boeing 747 Jumbo, l’un en train de décoller, l’autre en procédure finale d’atterrissage. Oui… 583 morts pour une similitude du phonème  ATIF’ pour deux ordres contraires.

A l’un des avions on a dit affirmatif pour la pose et à l’autre négatif pour le décollage. Nous avons vu le résultat !

La suite de ce texte sera moins tragique et évoquera les trucages de grand papa pour le film Le Mans ! Et ce sera l’antépénultième chapitre de

Ma vie en monovision !

 

Ma vie en monovision (Chapitre 41) La lettre à mon instituteur

J’ai quitté l’école primaire en 1953 et n’ai pas revu mon instituteur pendant plus de 50 ans. Je lui ai écrit. Il m’a répondu et nous avons eu des retrouvailles émouvantes, nous permettant à plusieurs reprises de faire une sorte de bilan de nos deux vies et de partager un coup de Chasselas du terroir ! Des moments très intenses.  

Voici quelques extraits de ma lettre (c’était avant qu’il me propose le tutoiement…) avec des photos ajoutées après nos retrouvailles :

A l’école vous nous lisiez des extraits de Jack London. J’avais été marqué par « Construire un feu », bouleversé par le final avec l’ultime allumette s’éteignant, un passage qui m’a poursuivi toute ma vie… et peut-être à l’origine de ma passion pour le Nord, le froid, le ski et l’alpinisme.

J’ai gravi plus de 15 sommets de 4000 m. (ski, crampons, varappe) même le toit de l’Europe…

Trois fois au sommet du Mont Blanc 4810 m. Je suis deuxième depuis la gauche

Et pour mes 40 ans le Miroir d’Argentine

J’ai parcouru 400 km à ski de fond en Laponie par des températures descendant à moins 38º et suis monté à près de 8000 m. en Himalaya.

A gauche: Halte dans une cabane de lapons sur la route de Alta. Je suis deuxième depuis la droite. Ci-dessous: Deuxième depuis la gauche, je pose avec mes coéquipiers au camp de base avant d’attaquer les dernières difficultés du Cho Oyu (8200 m) dont nous manquerons le sommet pour quelques centaines de mètres…

J’ai piloté, professionnellement, des montgolfières et un dirigeable à air chaud. Au sujet de mes performances sportives, c’est vrai que sans jamais avoir été un champion, j’ai quand même une petite carte de visite à faire valoir : 

Ski de fond : Plusieurs fois la Vasaloppet en Suède (90 km), la Marcialonga dans le Val de Fiemme i Fassa, Trentino (75 km), le Marathon de l’Engadine (42 km) et la Marcia Gran Paradiso dans le Val d’Aoste (45 km avec 1800 m de dénivelé !)

The end ! La Marcia Gran Paradiso 1995 pour la 17ème et dernière fois. Photo historique pour moi puisque j’avais 54 ans, l’année que je me suis expatrié en Espagne et que je n’ai plus jamais rechaussé les skis ! ►

J’estimais plus important de laisser une image ‘dynamique’ que de sombrer dans la médiocrité d’un vieil has been fluo, échéance inéluctable pour ceux qui ne savent pas raccrocher !

Ski de piste et de randonnée : de nombreuses fois la Haute route Chamonix Zermatt ou Zermatt Verbier, et la Patrouille des Glaciers (Arolla – Verbier).

Participation à une manche du Championnat du monde de ski-alpinisme. Je fus aussi prof de ski pendant une trentaine d’années.

Bicyclette de course : 4 fois les 12 heures de Gland (389 km !) Plus de 45 grands cols en Suisse, France et Italie avec des noms comme le Galibier, La Madeleine, l’Izoard, le Tourmalet, l’Aubisque, Peyresourde, le Stelvio, Gothard, Grimsel, Furka, Nufenen, Splügen, sans oublier l’incontournable Mont Ventoux par ses deux versants : Malaucène et Bédoin !

Course à pied : 8 fois Morat-Fribourg (17 km), les dix premières éditions de la Course de l’Escalade à Genève (10 km)

Natation : 12e temps romand en nage libre en 1960, en 1’06 aux Championnats romands à Yverdon.

Merci Fernand pour tout ce que tu m’as apporté. Tu as été mon maître de classe et mon maître à penser. Tu as conditionné toute mon existence et je tenais à t’en remercier avec une reconnaissance émue avec ces quelques photos qui sont la suite (ou la conséquence) du texte de Jack London que j’évoquais au début de cette missive:

« Ta » classe à Eysins en 1949 ou 50. Tu reconnaîtras l’un de tes élèves, deuxième depuis la droite, rang du milieu!

Le même élève , 40 ans plus tard, cette fois dans le rôle du chef de classe..

Mes débuts de prof de ski (années 60). A noter l’usage d’une invention suisse: les chaussures à coque plastique. Les champions de la grande équipe de France d’Honoré Bonnet de l’époque skiaient encore avec des chaussures en cuir Le Trappeur. Un détail: Le Trappeur faisait fabriquer ses souliers chez le maître Karl Molitor à Wengen et les J.C. Killy, Rossat Mignot, Patrick Russel et Georges Mauduit enduisaient leurs godasses de fibre de verre artisanale! Ah! J’oubliais: les skis Rossignol qui raflaient tout en compétition… étaient fabriqués chez Gaston Haldemann… en Suisse. Authentique!

Mon instituteur se nommait Fernand Barbay. Précurseur de l’enseignement scolaire moderne, disciple de Célestin Freinet, il est décédé à plus de 90 ans.

Ma vie en ‘monovision’ (Chapitre 39) A perte de vue…

Et si je perdais mon œil valide ?

Aucun borgne n’échappe à cette terrifiante pensée, surtout au moment de confier son bon œil à un ophtalmo pour l’opération de la cataracte ou pire, comme il y a 2 ans, alors que, comme Abraracourcix, j’ai cru que le ciel m’était tombé sur la tête : Je lisais tranquillement mon journal, et d’un coup la page s’est troublée, puis a disparu de ma vue. Par chance mon ophtalmo m’a donné rendez-vous en urgence le soir même à 20 heures. C’est à Ubeda, à 100 km de chez nous et je me félicite d’avoir insisté il y a quelques années pour que ma femme passe son permis de conduire.

Diagnostique : Décollement de la rétine. Ah bon ! Et comment ça se soigne ? Opération ! Quand ? Demain à 12 heures 30, le rendez-vous est déjà pris dans une clinique privée ! Où ? Cordoba ! Hein ?… Oui, Cordoba. On ne peut pas attendre un peu ? Non, car votre œil serait perdu.  J’abrège : Ma courageuse femme affronte, seule au volant bien sûr, un périple de 700 km. De la maison à Ubeda, puis retour pour prendre une brosse à dents et quelques affaires et, dès 6 heures, les 250 km depuis notre domicile jusqu’à Cordoba. Et retour au bercail avec l’handicapé, après l’opération ! Je ne le répéterai jamais assez : Merci chérie !

Voici à quoi ressemble un décollement de la rétine :

La ligne arrondie du bas est le fond de l’oeil

Et voici ma rétine recollée !

La ligne du bas, c’est toujours le fond de l’oeil… souligné en rouge par le praticien!

L’opération a duré une heure quarante. Vous voulez des détails ?

On fait trois trous dans la cornée : un pour passer l’outillage destiné à remettre les éléments déchirés en place, un autre orifice pour le laser destiné à appliquer les 700 points de soudure (oui 700 !) et fixer la rétine rassemblée et recollée. Le troisième trou permet de passer un tuyau pour évacuer le ‘vitré’, ce gel qui remplit le globe oculaire et un autre pour injecter du gaz qui maintiendra sa forme sphérique.

Il faudra attendre l’élimination naturelle de ce gaz et son remplacement par un nouveau ‘vitré’, que cette merveille de corps humain aura fabriqué.

Une ‘plaisanterie’ qui ne me laissera voir que des lueurs, de vagues formes et des silhouettes en mouvement, sur une chaise longue, pendant 5 semaines. Ayant vécu cette longue attente sur ma terrasse je suis heureux de vivre au climat andalou.

Une image à laquelle je suis attaché, puisque que j’en suis l’auteur… mais surtout parce que j’ai bien failli ne plus jamais la voir !

Après cet intermède moralement ‘douloureux’, j’ai repris ma vie presque normale, 3 mois plus tard !

Pour l’instant, je suis reconnaissant que l’ophtalmologie me permettre de continuer la publication de ‘Ma vie en monovision’.

Vous me suivez ?

Les borgnes maîtrisent mieux les risques !

J’ai pris des risques dans ma vie : en montagne avec quelques situations extrêmes à près de 8’000 mètres en Himalaya, moins 38° en Laponie, cyclisme avec des descentes de col à plus de 100 km/h, moto à 285 km/h, plus de 300 km/h avec une Ferrari Daytona de compétition de 440 CV, parapente, ballon à air chaud, dirigeable, entretien de toits à plusieurs dizaines de mètres de hauteur, et même deux mariages… je vous l’ai dit, j’ai vécu dangereusement ! Et je continue à prendre des risques : sachant que le 95% des gens meurent dans leur lit, je persiste à me coucher dans le mien chaque soir. J’ai connu des gens jouissant d’une vision normale qui ont eu des accidents, même graves et mortels. Ai-je eu de la chance ? Je réponds oui, mais seulement si la concentration permanente et la conscience du danger de tous les instants, qui m’ont permis d’échapper au pire, sont des caractéristiques de la chance !

Vivre avec un borgne 

Une porte d’armoire restée ouverte, c’est pour ‘ma pomme’, ou pour mon oeil, le valide bien sûr ! Un tiroir resté ouvert, c’est pour mon genou. Un tapis dont les coins se relèvent, c’est encore pour mon pied qui va trébucher. Idem pour tout meuble ou accessoire ménager non remis dans « son » site habituel. Ô que j’apprécie cette ancienne affiche de ma jeunesse, vue dans l’atelier d’amis artisans :

Une place pour chaque chose, chaque chose à sa place.

Quelques dizaines de centimètres de déplacement d’un objet par rapport à « sa » place habituelle peut être dangereux.  Je vous le dis : pour un amblyope et ceux ou celles qui le côtoient, c’est le Bronx ! L’occasion de remercier celles qui ont partagé ma vie pour leur compréhension…

Interlude (10) Les aberrations administratives

Les meilleures choses ayant une fin, préparons-nous, moi le premier, à mettre un terme à la narration de Ma vie en monovision. Il ne reste que quelques chapitres. Allez ! Une petite pensée amblyope en attendant :

Je t’ai à l’œil

  J’adore cette expression, signifiant « Je te surveille » … sauf s’il s’agit d’une ‘dame’ qui fume dans la rue et dit ‘tu’ aux hommes car dans ce cas on pourrait croire qu’on ‘consomme’ sans payer !

Pour l’heure, après deux textes un peu lourds concernant la force mentale et physique d’un borgne, j’ai retrouvé matière à un Interlude pour une pause souriante, car la prochaine publication ‘A perte de vue’ sera aussi chargée de réflexions. Mais je rassure les âmes sensibles : l’histoire se terminera bien… en tout cas pour le moment !

Vous avez lu que je suis titulaire d’un diplôme d’employé d’administration (l’ENA du pauvre), donc j’avoue avoir été fonctionnaire de métier. Vous me pardonnerez, d’autant plus que je n’ai plus travaillé (vous avez dit travaillé ?) dans une administration depuis 1962, donc depuis 60 ans. Il y a alors prescription…

Je dédie cette réflexion à mes potes du blog Ernest, Jourdhu, Skyler et toutes celles et ceux qui se battent quotidiennement contre les stupidités et les aberrations d’un système administratif archaïque, sclérosé, pléthorique, parfois corrompu, souvent inutile et toujours prêt à ‘emmerder’ (oups, mes excuses Monsieur le Président !) les…  ‘administrés’ !

Voici l’une de ces aberrations, qui suscite une interrogation :

Doit-on autoriser les monoculaires à conduire ? Une question à laquelle ne peuvent répondre que ceux qui délivrent les permis, mais pourquoi ne pas demander leur avis aux borgnes ? Bon, je rêve !

J’avais un contrat de déneigement dans un lotissement de montagne, qui nécessitait un permis de conduire poids lourds pour manœuvrer la puissante fraiseuse que les responsables projetaient d’acheter. On me connaissait bien, on m’avait vu à l’oeuvre aux commandes de l’engin de déneigement Intrac 2000 de la photo, on m’offrait les frais du permis et une situation financièrement très confortable. Confortable ? Oui 60 euros de l’heure, il y a 45 ans, vous jugerez ! Un indice: Ce n’était pas en France!

Mais, sur avis négatif du médecin conseil du Service des automobiles, on m’a refusé le permis poids lourds, un document réservé aux « deuzyeutistes ! »  Constatation à peine goguenarde : ‘on’ m’a refusé un document exigé pour transporter 3520 kg de gravier (20 kg de plus que la limite du permis voitures qui est de 3500 kg !) alors que je peux conduire la plus puissante des Ferrari à pleine vitesse, un petit bus avec 17 personnes à bord et qu’on m’a donné les licences de pilote de montgolfière et de dirigeable à air chaud…

Mondo cane !

Ma vie en monovision (Chapitre 38) Encore la force mentale…

Vous savez, je vous l’avais dit, que j’accélère mes publications pour terminer cette ‘saga’ avant de repartir au bord de l’Atlantique pour une autre accélération : celle de la convalescence de Cornelia qui se remet bien de sa fracture du fémur.

Voici donc une suite à mon texte du 11 mars 2022, liens: https://wordpress.com/post/akimismo.wordpress.com/6414 

1963. J’ai 22 ans (Oui je sais, ça ne nous rajeunit pas !). Jeune marié et père de famille, je suis confronté à une épreuve qui, de nos jours, nécessiterait psychologue et cellule de crise. Je rentre du travail et trouve ma femme en pleurs. Elle vient d’appeler le pédiatre pour une rechute de notre fils âgé de deux semaines. Nous sortions d’une période difficile qui ajoutait à une mastite de ma femme une sérieuse infection du gosse. Le médecin dit que c’est très grave et qu’il ne peut pas prendre le risque d’attendre une ambulance. Il ne peut pas non plus conduire tout seul un si jeune malade à l’hôpital. Je prends ma propre voiture et le pédiatre tient le gosse dans ses bras. Je fais le trajet à une allure que la loi aurait pu sanctionner et le médecin m’avouera plus tard qu’il n’a jamais eu aussi peur dans sa vie. Et pourtant souvenez-vous que c’est en pilotant une ambulance que j’ai appris à sauver des vies en étant très lourd du pied droit ! Hospitalisation de quelques minutes seulement, avant de réorienter le petit malade en hélicoptère vers l’Hôpital Universitaire de la capitale. Diagnostic : pneumothorax, soit un épanchement d’air dans la cavité pleurale avec, ce qui est plus grave puisque incurable à cette époque (1963), une infection au staphylocoque doré. Rien que ça. Afin de ne pas vous la jouer façon Hitchcock, sachez que grâce à des médicaments totalement expérimentaux, les ‘sulfamidés’ récemment mis au point par l’industrie pharmaceutique italienne, ils ont sauvé le gosse. Je vous parlais de la force mentale, alors sachez qu’en ces temps moyenâgeux, dans une Suisse sans sécurité sociale officielle, on devait prendre une assurance privée avant la naissance des enfants… ce que j’ignorais. Eh oui ! Quand tu as vingt ans, père de famille sans l’avoir voulu, t’as autre chose à faire que de t’informer sur les obligations légales. Je me retrouve alors avec une femme qui sera hospitalisée pour une mastite carabinée, un gosse qu’on vient de baptiser en urgence dans sa couveuse aseptisée, entre la vie et la mort à l’hôpital universitaire de la capitale et une facture équivalente à plus de 150’000 euros actuels, pour l’hosto, l’hélico et les fameux sulfamidés ! (Bon, on me fera bien plus tard cadeau des médocs, pas encore officiellement sur le marché !)

Au sujet du baptême en urgence par un pasteur protestant appelé par les responsables médicaux, je me suis fait remarquer : au moment où l’ecclésiastique prétendait passer ses mains non gantées et non désinfectées par les manchons d’accès au bébé dans sa couveuse, pour un sacrement à l’eau bénite, j’ai explosé en lui interdisant la manœuvre. Il m’a regardé de travers mais au vu de de mon faciès hargneux, il a compris qu’insister aurait été dangereux pour sa santé physique. Nom de dieu !  

Pour le clou de l’histoire je vous livre une remarque entendue de la bouche d’un officier de l’armée, pourtant au courant du traumatisme que je traversais : « Ô toi, t’es pas un homme car tu n’as pas fait ton service militaire ! »  Qui a dit force mentale ? Et vous admirerez une autre force que je revendique : Celle de retenue pour ne pas avoir foutu mon poing dans la gueule du militaire gradé !