Dans la série « Clin d’œil, j’ai lu pour vous » voici mon coup de cœur pour un texte paru dans un hebdomadaire que je lis depuis 27 années, sous la signature de Arturo Perez Reverte, romancier, éditorialiste et académicien de la Real Academia Española. Avant de se consacrer à la littérature, il fût correspondant de guerre pendant 21 ans et s’est ‘frotté’ à des épisodes sanglants, des charniers, des horreurs… bref, il a été sur les fronts belliqueux au Tchad, en Libye, Chypre, Liban, Érythrée, les Malouines, le Soudan, le Mozambique, l’Angola, la Tunisie, la Bosnie Herzégovine, Sarajevo…
En préambule, je mets mes amies lectrices en garde : Ce texte ne vous est pas destiné, mais rien ne vous empêche de le lire !
J’ai 10 ans de plus que l’auteur et suis donc en première ligne pour apprécier les situations évoquées dans cette publication. Je partage avec vous cette traduction maison, en fait une adaptation, pour respecter les clins d’œil que l’auteur a publié sous le titre :
Miccionando, que es gerundio
Difficile de traduire ce titre plein de sous-entendus… qui évoque 1° la miction, soit la manière pédante, littéraire, scientifique et prétentieuse du corps médical, pour dire ‘uriner’ et 2° le gérondif, soit le participe présent. Un mauvais traducteur, ou un programme de traduction automatique ‘à la con’ aurait pu choisir : ‘En train de pisser’ ou je ne sais quelle incongruité.
Moi, j’en reste au clin d’œil, et propose :
Miction impossible !
J’ai soumis mon interprétation à Arturo Perez Reverte et viens de recevoir son approbation, transmise par son assistante :
Estimado Norbert:
Encantada de saludarle de nuevo.
Por indicación de don Arturo Pérez-Reverte le transmito la autorización para publicar, exclusivamente en su blog, la traducción al francés adjunta del artículo “Miccionando, que es gerundio”, XLSemanal 2022, del que es autor don Arturo.
Aprovecho la ocasión para enviarle un cordial saludo.
Encore tout ému qu’un personnage de l’envergure d’Arturo Perez Reverte ait avalisé ma traduction, je lui laisse le clavier :
J’en ai ras le bol de toutes ces campagnes en faveur des ‘petits vieux’, catégorie à laquelle j’appartiens avec mes 71 balais, campagnes qui prétendent leur faciliter la vie dans ce monde moderne fait de distributeurs de billets automatiques, d’attention personnalisée, de voyages organisés par les services sociaux pour les anciens et de gadgets informatisés et connectés…
Mais, scrogneugneu, pourquoi pas un mot au sujet des urinoirs publics ? Je me réfère principalement à ceux des bars, restaurants et parkings, sans ignorer que les femmes ne sont pas mieux loties…
Essayez, messieurs, de vous mettre à leur place, de faire pipi par un jeu de contorsion digne du Cirque du Soleil, perchées sur des toilettes qui ne méritent pas le prix Nobel de la propreté, loin de là, en tenant leur manteau dans une main et leur sac dans l’autre. Nous, les mâles, sommes un peu mieux lotis, quoi que… et là je parle de mes congénères d’un certain âge, mais aussi de ceux de petite taille et des enfants ! Je dis petite taille pour m’éviter la vindicte des talibans et ‘talibanes’ du langage politiquement correct, en n’utilisant pas le vocable ‘nains’.
Je mesure 1m78, ou plutôt je mesurai, car avec l’âge nous subissons tous le même rétrécissement que les habits lavés à l’eau trop chaude, mais ne peux pas me plaindre, car ma taille m’avantage au moment de manipuler ma braguette dans les lieux en question, en position de combat devant le récipient en porcelaine fixé trop haut contre la paroi et, en moins d’une minute, la cause était entendue !
Mais, avec le temps, il faut tenir compte des effets de l’âge, de la prostate, pour un type de ma génération, même plus jeune. Il faut se résoudre à accepter que la puissance de jet du fluide ne soit plus ce qu’elle était ! Il est bien révolu le temps où, à la sortie de l’école, nous nous affrontions pour désigner celui qui ‘pissait’ le plus loin ! Maintenant la puissance propulsive se réduit, au point que les dernières gouttes vous jouent des tours, souvent en causant des taches d’humidité sur le pantalon, peu élégantes, à n’importe quel âge. Revenons à la hauteur scandaleuse à laquelle des architectes sadiques, des concepteurs vicieux et des plombiers, fils de la grande… (ici don Arturo utilise un mot qui concerne les dames qui fument dans la rue et qui disent ‘tu’) situent les urinoirs masculins. Il est vrai que la génération actuelle a une stature plus élevée que les précédentes, et pour eux le problème n’existe pas.
Mais, s’il vous plaît, un peu de considération pour les vétérans encore en vie… et qui s’accrochent !
La vérité est que je suis devenu, pour d’inévitables raisons d’âge, un visiteur plus assidu des lieux d’aisance évoqués plus haut, et que j’ai assisté à quelques scènes baroques. Si je parviens encore à atteindre l’urinoir en me dressant sur la pointe des pieds, ça devient de plus en plus difficile… pour les autres et je jure sur la tête de Marcel Duchamp, le plasticien qui, en 1917, avait présenté un urinoir comme une œuvre d’art, que j’ai vu des malheureux de petite taille renoncer à d’inutiles tentatives, finissant par uriner au sol, par-dessous le récipient placé trop haut, au grand dam de ses voisins de pissoir dont les souliers étaient éclaboussés ! Et des pères de famille soutenant leur progéniture d’un bras, et de l’autre essayant d’orienter le petit ‘robinet’ dans la bonne direction. J’ai aussi vu un homme de courte taille, bien habillé qui, après quelques tentatives infructueuses, blasphémant entre ses dents, finit par uriner dans le bidon à récurer du personnel d’entretien, accompagnant son geste désespéré d’un sonore : « Qu’ils aillent se faire foutre ! » sans préciser à qui était destiné cette interpellation !
Évoquons encore la disparition des panneaux qui séparaient les urinoirs, préservant l’intimité des ‘attributs’ de chacun ?
On les a supprimés, probablement pour des questions d’économies, et nous sommes condamnés à ‘cohabiter’ épaule contre épaule, et d’entrevoir, étant en pleine ‘opération’ de vidange, son voisin de travée faisant de savantes manœuvres pour contrôler la bonne direction de son débit. Le côté positif est que cette promiscuité crée des complicités solidaires, même des liens affectifs, vu que rien n’unit mieux deux bonshommes de plus de 60 ans que l’échange de coups d’œil désolés et compréhensifs à la vue des efforts pour viser la bonne hauteur du jet dans l’urinoir !
Même, c’est déjà arrivé, qu’on m’apostrophe : « Mais quelle surprise… Perez Reverte en personne ! » avec la main libre tendue pour rencontrer la mienne, ne me laissant pas d’autre choix que d’échanger une bonne poignée de mains avec mon compagnon d’infortune !
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